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L'idée de voyager dans l'espace, d'atteindre une autre planète ou la Lune est très ancienne ; les premiers rares récits à ce sujet étaient assez fantaisistes, car leur but n'était pas technique mais philosophique. Ainsi, lorsqu'en 125 environ, le Syrien Lucien de Samosate écrivit en grec ''Une Histoire Vraie'', un récit relatant le voyage d'Ulysse jusqu'à la Lune dans une panse de baleine, où il assiste à une guerre entre les Sélénites et les habitants du Soleil, Samosate critiquait en fait la société de son époque.

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Les premières fusées furent des armes, loin de la vision spatiale que nous en avons aujourd'hui. Elles furent inventées en Chine, aux alentours du XIIIe siècle. La première trace écrite de leur utilisation est la chronique de Dong Kang mu, en 1232, qui raconte leur utilisation par les Mongols lors de l'attaque de la ville de Kaifeng; il est d'ailleurs possible que le concept de fusée ait été propagé par eux lors de leur invasion de l'Eurasie. Les fusées sont alors des tubes de papier ou de carton contenant de la poudre, dont les tirs sont aléatoires et dangereux même pour leurs servants. Il existe en Chine le mythe de Wan Hu, fonctionnaire chinois du XVIe siècle qui aurait tenté d'atteindre la Lune à l'aide d'une chaise sur laquelle étaient montées 47 fusées. Malgré les améliorations apportées petit à petit aux fusées, par l'ajout d'une baguette de guidage, ou d'ailettes de stabilisation, ou par l'utilisation de corps en fer, techniques qui les rendaient plus sures, plus stables et plus puissantes, l'artillerie finit par remplacer leur fonction d'arme.

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Puis, en 1648, l'évêque anglais Francis Godwin écrivit ''Le Voyage chimérique au monde de la Lune'', et en 1649, Savinien de Cyrano de Bergerac décrivit huit techniques possibles pour voler jusqu'à la Lune, et quatre pour atteindre le Soleil. L'un de ces procédés consistait en plusieurs fusées à poudre allumées successivement, approche comparable aux fusées à étages modernes. Pour autant, ces textes restaient toujours à but philosophique, et non technique ou anticipatif.

Le sujet devint plus courant et plus technique au XIXe siècle, malgré encore de nombreuses invraisemblances. Ainsi, le roman "De la Terre à la Lune'' de Jules Verne, édité en 1865 et diffusé mondialement, raconte un voyage vers la Lune à bord d'un obus tiré par un canon géant. Si Jules Verne fit l'erreur de ne pas réaliser que les voyageurs seraient tués par l'énorme accélération due au tir, il expliqua à juste titre dans son roman que le corps du chien accompagnant les héros, largué depuis le vaisseau en déplacement dans l'espace, continuerait son mouvement sur une trajectoire parallèle au vaisseau. Ce phénomène, exact mais peu intuitif, montre l'approche scientifique du sujet faite par l'auteur. Dans Un habitant de la planète Mars, publié par Henri de Parville en 1865, de nombreuses sciences furent utilisées afin de déduire l'origine martienne d'un corps extraterrestre sur terre. Achille Eyraud imagina en 1865 dans ''Voyage à Vénus'' un vaisseau à réaction. Plus tard, en 1901, H. G. Wells publie Les Premiers Hommes dans la Lune, roman dans lequel le voyage dans l'espace est permis grâce à un matériau nommé « cavorite » qui annule les effets de la pesanteur.

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Tous ces récits restèrent utopiques malgré les tentatives d'explications et d'inventions techniques, et très peu de gens considéraient sérieusement le voyage dans l'espace. Pour autant, les sciences et techniques de l'époque commençaient à permettre, si ce n'est de les accomplir, des essais sérieux sur le décollage et la libération de la pesanteur terrestre.

Au début du XXe siècle, en Russie, un instituteur nommé Constantin Tsiolkovski réfléchit à un « engin à réaction » pouvant atteindre une vitesse nécessaire à la mise en orbite, et permettant d'évoluer dans le vide spatial. Il imagina les fusées à étages, le concept de station spatiale, l'utilisation de combustibles liquides par mélange de comburant et carburant en remplacement de la poudre qui ne peut pas brûler dans le vide de l'espace, et qui n'était alors pas assez puissante. Il écrivit des textes compilant ses idées, mais limité par les technologies de l'époque, il ne passa pas à la pratique. Assez peu reconnu du temps de sa vie, il est rétrospectivement considéré comme un pionnier

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Quelques années après, à partir de 1909, Robert Goddard, un enseignant d'université aux États-Unis travailla sur la réalisation de fusées à étages et à propulsion liquide, pour lesquelles il déposa des brevets. Il commença à fabriquer lui-même des prototypes, puis fut financé par le Smithsonian Institute, et, lors de la Première Guerre mondiale, par l'armée américaine. Alors que Constantin Tsiolkovski était passé assez inaperçu de ses compatriotes, lui fut la cible de moqueries de la part des journalistes de l'époque. Par exemple, le 13 janvier 1920, l'éditorial du New York Times critiqua les idées de Goddard, allant même jusqu'à l'accuser d'ignorance : « […] Of course he only seems to lack the knowledge ladled out daily in high schools » (« Il semble qu'il lui manque les connaissances du niveau de l'école secondaire»); le journal s'excusera le 17 juillet 1969 alors que l'équipage d'Apollo est en route pour la Lune (« The Times regrets the error »). Goddard vit sa première fusée à propulsion liquide, 'Nell', quitter le sol le 16 mars 1926, pour un vol de 2,5 secondes et de 13 mètres de haut.

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Dans le même temps en Allemagne, Hermann Oberth travailla lui aussi sur les fusées, et publia en 1923 sa thèse La fusée dans les espaces interplanétaires (pour un doctorat qui lui sera refusé), puis le livre 'Le voyage dans l'espace' en 1929. Ses idées furent mieux accueillies, dans une Allemagne en renaissance, où les fusées étaient même testées comme propulsion de voitures, comme la RAK-2 essayée par Fritz von Opel, qui atteignit les 230 km/h en 1928. Fritz von Opel a contribué à populariser les fusées comme moyen de propulsion pour les véhicules. Dans les années 1920, il a initié avec Max Valier, cofondateur du « Verein für Raumschiffahrt », le premier programme de fusée au monde, Opel-RAK, conduisant à des records de vitesse pour les automobiles, les véhicules ferroviaires et le premier vol habité propulsé par fusée en septembre 1929.​

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Quelques mois plus tôt, en 1928, l'un de ses prototypes propulsés par fusée, l'Opel RAK2, atteignit, piloté par von Opel lui-même sur le circuit AVUS de Berlin, une vitesse record de 238 km/h, regardé par 3 000 spectateurs et médias mondiaux, dont Fritz Lang, réalisateur de Metropolis et La Femme sur la Lune, champion du monde de boxe Max Schmeling et bien d'autres célébrités du sport et du show business. Un record du monde pour les véhicules ferroviaires a été atteint avec RAK3 et une vitesse de pointe de 256 km/h. Après ces succès, von Opel a piloté le premier vol public propulsé par fusée au monde en utilisant Opel RAK.1, un avion-fusée conçu par Julius Hatry. Les médias mondiaux ont rendu compte de ces efforts, y compris UNIVERSAL Newsreel des États-Unis, provoquant comme "Raketen-Rummel" ou "Rocket Rumble" une immense excitation publique mondiale, et en particulier en Allemagne, où, entre autres, Wernher von Braun a été fortement influencé. La Grande Dépression a conduit à la fin du programme Opel-RAK, mais Max Valier a poursuivi les efforts. Après être passé des fusées à combustible solide aux fusées à combustible liquide, il est décédé lors des tests et est considéré comme le premier décès de l'ère spatiale naissante. Les essais de ces fusées restaient pourtant incertains ; Oberth perdit la vue de son œil gauche lors de l'explosion d'une fusée devant faire la publicité du film Une femme dans la Lune de Fritz Lang. Il arriva tout de même à faire fonctionner un moteur fusée à carburant liquide, le 7 mai 1931.

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Même si le voyage dans l'espace laissait insensibles de grandes parts de la population, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, certains passionnés se regroupèrent dans des « sociétés d'astronautique » dans différents pays.

En 1927 fut créée à Wroclaw la Verein für Raumschiffahrt (pour Société pour la navigation dans l'espace) par Johannes Winkler, à laquelle adhérèrent Hermann Oberth, un étudiant du nom de Wernher von Braun, Max Valier ou Willy Ley entre autres. Winkler lança la première fusée à ergols liquides d'Europe en février 1931, Rudolf Nebel et Klaus Riedel testèrent leurs fusées 'Mirak' qui atteignirent plus d'un kilomètre d'altitude. L'armée allemande proposa son aide financière, mais la VfR, après de houleux débats, refusa. Après son accession au pouvoir, le parti nazi, méfiant face à cette association, lui fit des difficultés et interdit les essais civils de fusées. En conséquence, pour pouvoir continuer les recherches, certains membres comme von Braun rejoignirent l'armée allemande, toujours intéressée par ces technologies, sous la direction de Walter Dornberger.

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La deuxième société astronautique importante fut créée en URSS en 1931 : le Grouppa Izoutcheniïa Reaktivnovo Dvijeniïa (ou GIRD pour Groupe d'étude du mouvement à réaction), qui était divisé en cellules locales (d'abord à Moscou et Leningrad), et comptait comme membres Sergueï Korolev, Mikhail Tikhonravov. En novembre 1933, la GIRD-X à carburant liquide (alcool et oxygène) vola à 80 mètres. En plus de ces groupes qui se créaient en URSS, le Laboratoire de dynamique des gaz (GDL) fut créé en 1928 ; il rassemblait Nicolas Tikhomirov et Vladimir Artmeyev, et fut rejoint par Valentin Glouchko. Les deux principaux groupes du GIRD et le GDL furent fusionnés pour former l'institut de recherche sur la propulsion par réaction, mais ce nouvel institut fut déchiré par les querelles internes et victime de dissensions entre les anciens groupes. Plus grave pour les recherches, certains de ses membres, comme Korolev et Toukhtchevski, furent victimes des purges staliniennes.

Des sociétés astronautiques se formèrent aussi dans d'autres pays, avec l'American Rocket Society, la British Interplanetary Society, la Société astronomique de France.

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